La fameuse règle controversée du compté

À l’ultimate, un joueur a dix secondes (huit dans l’adaptation française du règlement au jeu en salle) pour effectuer une passe. Ces dix secondes sont égrainées oralement par le défenseur qui défend sur le lanceur (on l’appelle le marqueur pour le différencier des autres défenseurs). Si personne en défense ne prend la responsabilité de venir défendre sur le lanceur et de le compter, alors le lanceur a tout le temps qu’il veut pour faire sa passe. C’est pourquoi il est fondamental que la défense s’assure qu’il y ait toujours un joueur en train de compter le lanceur, car sans ça, elle ne peut pas mettre la pression sur l’attaque et elle risque de courir beaucoup pour rien.

Évidemment, ce compte est régi par un certain nombre de règles : (je les donne en anglais car ce sont celles-là qui font foi. Une version française existe, mais je la trouve approximative, malgré tout le respect que j’ai pour son auteur)

9. Stall Count

9.1
The marker administers a stall count on the thrower by announcing “Stalling” and then counting from one (1) to ten (10). The interval between the start of each word in the stall count must be at least one (1) second.
9.2
The stall count must be clearly audible to the thrower.
9.3
The marker may only start a stall count when the disc is live.
9.4
The marker may only start and continue a stall count when they are within three (3) metres of the thrower and all defenders are legitimately positioned (Section 18.1).
9.5
If the marker moves more than three (3) metres from the thrower, or a different player becomes the marker, the stall count must be restarted at one (1).
9.6
To restart a stall count “at maximum n”, where “n” is a number between one (1) and nine (9), means to announce “stalling” followed by the count at one more than the last number uttered prior to the stoppage, or by “n” if that value is greater than “n”.

13.1. A turnover transfers possession of the disc from one team to the other and occurs when:

13.1.7.
The thrower has not released the disc before the marker first starts to say the word “ten” in the stall count (a “stall-out”).

Dans un sport auto-arbitré comme l’ultimate, vous vous attendez certainement à ce que tous les joueurs appliquent ces règles à la lettre. Malheureusement, beaucoup adaptent la chose à leur sauce, soit par ignorance, soit parce qu’ils l’ont appris comme ça, ou parce qu’ils pensent que les détails n’ont pas d’importance. Voici les erreurs les plus fréquentes :

  • il s’écoule moins d’une seconde entre le premier son du mot stalling et le premier son du mot 1 ;
  • le compte ne démarre pas par le mot stalling (ou sa traduction française), mais par 1 directement ;
  • le compte ne se termine pas par 10 et la faute est donc annoncée après 9. (de loin la plus fréquente)

Les lecteurs qui pratiquent l’ultimate seront d’accord avec moi pour dire que ces dégradations de la règle du compté sont relativement fréquentes et n’ont heureusement que très rarement une influence sur le déroulement du jeu. Sauf certaines fois… Bref, à tous ceux qui font l’économie du mot stalling, du mot « dix » ou qui enchainent « stalling-un », la suite est pour vous.

Compter le lanceur, une obligation ?

Non, les règles 9.3 et 9.4 utilisent l’auxiliaire may ce qui signifie que le défenseur peut démarrer le compte et qu’il peut aussi choisir de ne pas le faire tout de suite (ou même pas du tout).

Pourquoi démarrer par « compté » ?

Si le marqueur décide de compter, alors il doit démarrer ce compte par le mot « stalling ». C’est la règle 9.1 qui le dit. Ce mot a la valeur du chiffre « zéro » et sert à indiquer au lanceur qu’il commence à être compté. Si on commence directement par « un », alors, le lanceur est certes averti qu’il est compté par le marqueur, mais il constate surtout qu’il s’est déjà écoulé une seconde alors qu’il pensait jusque là que le compte n’avait pas démarré. L’arnaque ! À mon sens, cette règle 9.1 dit donc que le lanceur n’est pas supposé deviner quand le marqueur a réellement choisi de débuter son compte et que c’est à ce dernier de le signaler clairement en criant « compté », ou « zéro » si vous préférez.

Remarque en passant

Si vous relisez attentivement la règle 9.1, vous constaterez que l’intervalle entre chaque chiffre doit être d’au moins une seconde. En clair, cela signifie qu’on n’attend pas des joueurs qu’ils sachent égrener les secondes avec la régularité et la précision d’une horloge atomique, mais qu’on attend d’eux qu’ils passent au chiffre suivant de leur compte quand ils sont sûrs qu’au moins une seconde s’est écoulée, quitte à attendre un poil plus longtemps. À ce stade, il est nécessaire de différencier la seconde de l’horloge atomique (appelons-là « seconde-atomique ») de la seconde égrenée par le marqueur (appelons-là « seconde-comptée »). La valeur d’une seconde-comptée en secondes-atomiques varie donc en fonction du temps, du marqueur, de son attention sur le jeu, de sa façon de respirer, etc. mais est toujours au moins égale à une seconde-atomique.

Dernière remarque sur la règle 9.1 : on comprend en la lisant que le marqueur n’est pas supposé « sauter » des chiffres s’il lui semble que sa seconde-comptée a duré plus longtemps que deux secondes-atomiques. La conséquence de ça est que les règles imposent au marqueur de maintenir une concentration minimum sur son compte s’il ne veut pas que celui-ci dure indéfiniment. Tous les joueurs savent qu’il arrive assez fréquemment qu’on rate le compte suivant parce qu’on est occupé à défendre une tentative de passe, avec pour conséquence que largement plus d’une seconde-atomique s’est écoulée avant qu’on prononce le compte suivant. C’est comme ça et ça ne doit pas donner lieu à un « rattrapage » du temps perdu par la suite.

Bref, cette règle 9.1 a pour conséquence importante que le lanceur ne sait pas combien de temps va durer la seconde-comptée qui s’écoule, sinon qu’elle durera au moins une seconde-atomique. Ainsi, il a besoin d’entendre le chiffre suivant pour savoir que la seconde-comptée est écoulée.

Pourquoi ne faut-il jamais dire « stall-out » directement ?

La fin du compte est le point problématique qui provoque des guerres de religion à n’en plus finir. Lorsque ce moment arrive, ou plutôt juste avant qu’il n’arrive, le marqueur annonce « neuf ». Entre le début du compte (0) et la prononciation du mot neuf, il a prononcé dix mots (0, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9) mais il ne s’est écoulé que neuf secondes-comptées ! Oui, c’est une histoire de grillage et de piquets. Les intervalles qui mesurent le temps écoulé sont bien au nombre de neuf et ce sont eux qui durent une seconde-comptée. Quand le mot neuf est prononcé, le lanceur a donc encore une seconde-comptée (donc au moins une seconde-atomique) pour effectuer son lancé. Son problème est que, comme je l’ai dit plus haut : il ne sait pas combien de temps elle va durer exactement. Lorsque le marqueur annonce « dix », il s’est écoulé dix secondes-comptées et si le lanceur n’a pas lâché le disque à ce moment là il y a infraction et le marqueur peut annoncer stall-out. Le lanceur peut contester s’il pense que le disque ne touchait plus sa main (même si c’est pour quelques millièmes de millimètre) au premier son du mot dix qu’il a entendu.

Pourquoi, maintenant, est-ce si important de prononcer le mot dix plutôt que d’annoncer stall-out directement ? Eh bien c’est très simple : sans entendre le mot dix, le lanceur ne peut pas savoir quand la seconde-comptée a pris fin et donc par conséquent quand le compte global est arrivé à son terme. Il ne peut donc pas juger de la réalité de l’infraction appelée, ce qui le prive de son droit à contester (j’ai dit droit et non devoir). C’est un vrai problème parce que, comme je l’ai dit plus haut, il est parfaitement possible que le marqueur n’ai pas prononcé le mot stall-out au moment même où il aurait du parce qu’il s’est jeté pour bloquer la tentative de passe du désespoir (par exemple). Comme son cerveau a bel et bien imprimé le fait que la passe soit partie après, il annonce quand même stall-out, mais légèrement en retard. Notez à ce stade que s’il avait dit dix, comme la règle 9.1 l’oblige à le faire, la passe aurait été valable sans discussion possible ! Mais bon, il a dit stall-out et du coup le jeu s’arrête avec la situation suivante : la passe est bonne pour le lanceur car le stall-out a été dit un chouilla après, et mauvaise pour le marqueur car il sait que le compte a en réalité pris fin un chouilla plus tôt. Comment le lanceur peut-il donc savoir si son lancer est partie avant ou après la fin du compte puisqu’il ne l’a pas entendu ? C’est pourtant lui qui sait avec le plus d’exactitude le moment précis où le disque a quitté sa main ! (Je vous rappelle qu’il n’est pas supposé contester s’il pense sincèrement que le stall-out est valable.)

Vous n’êtes pas supposés enfreindre les règles volontairement

Pour résumer, je prétends que tant que les règles du jeu donneront le droit à l’auteur présumé d’une infraction de la contester, il faudra que le marqueur annonce dix avant d’appeler stall-out s’il y a lieu afin de lui donner cette chance. Voilà à mon sens la raison pour laquelle les règles du jeu précisent qu’il faut prononcer le dix.

Maintenant cette explication peut sembler tirée par les cheveux, j’en conviens. Dans ce cas, vous m’accorderez au moins cette application stricte de la règle 13.1.7 qui met fin aux débats : l’infraction est caractérisée si le disque n’a pas quitté les mains du lanceur au premier son du mot dix ; autrement dit si vous êtes du genre à dire stall-out directement, alors vous ne dites jamais dix et du coup il ne peut pas y avoir d’infraction. Vous vous trouvez donc dans la situation où vous enfreignez le règlement en appelant des infractions qui n’ont pas eu lieu (ce qui est un motif légitime de contestation). Jusqu’à ce que vous lisiez cette phrase, vous pouviez invoquer l’ignorance. Maintenant ce n’est plus le cas.

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